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Le Mardi 14 Décembre 2010

Cérémonie de remise de décorations à Benoîte Groult, Irène Frain, Vénus Khoury-Ghata, Nicole Lattès, Maurice Denuzière, Anne Golon

Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise des insignes de Commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur à Benoîte Groult, d'Officier dans l'ordre de la Légion d'honneur à Irène Frain, Vénus Khoury-Ghata, et Nicole Lattès, de Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres à Maurice Denuzière, et d'Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres à Anne Golon

Chère Benoîte GROULT,

Avec passion et générosité, vous n’avez cessé, toute votre vie, de vous battre avec une dignité lumineuse qui a gagné le coeur de tous pour la cause des femmes, et je souhaite rendre hommage ce soir à cette extraordinaire leçon de liberté et d’irrévérence que vous nous donnez depuis si longtemps. Votre enfance a pour décor l’univers privilégié du faubourg Saint-Germain, encadrée par votre mère, dessinatrice de mode, votre père, grand décorateur, et votre nanny irlandaise qui vous apprend l’anglais au berceau. Et vous baignez, très tôt, dans la culture, entourée par votre oncle le grand styliste Paul Poiret et côtoyant les grands noms de l’époque, de Picabia à Picasso, en passant par Marie Laurencin, votre marraine, et Dorothy Parker, dont la traduction sera votre première publication. Férue d’humanités, vous étudiez les littératures grecque et latine et la philosophie, qui constituent alors votre horizon de références. Vous vous lancez, après la guerre, dans le journalisme :quelques courts bulletins écrits pour la radio, quelques reportages pour la télévision, quelques résumés de films dits sur les ondes, vous souvenez-vous, « d’une voix de jeune fille stressée ». Ce sont ainsi vos premiers pas dans l’écriture, d’abord en compagnie de votre complice et amie de toujours, votre soeur Flora. Vous vous replongez dans vos journaux de guerre, retrouvez le charme de ces jeunes filles de Giraudoux, et vous partagez avec enthousiasme vos craintes et vos rêveries. Ce Journal à quatre mains, publié en 1962, vous place, Flora et vous, au premier plan d’une lutte qui deviendra, très vite, le combat d’une vie. C’est en 1975 que vous entrez définitivement en féminisme avec Ainsi soitelle, dont le succès est retentissant, même au-delà de nos frontières. Vous savez alors trouver les mots justes pour dire la féminité, le plaisir, le corps, offrant à toute une génération de femmes la voie de la libération. Vousluttez, dans Les vaisseaux du coeur, contre toutes les formes de misogynie, transgressant les tabous et libérant l’écriture. Vous diffusez votre message féministe à un plus large public à travers F Magazine que vous avez créé avec Claude Servan-Schreiber. Et vous avez accompagné, tout au long de votre vie, tous les grands combats des femmes du XXème siècle, du droit au divorce au droit à l’avortement, en passant par la réhabilitation des grands figures féministes et la parité en politique. Mais la bataille féministe est également, pour vous, une lutte symbolique, et notamment une question de mots. En tant que Présidente de la Commission pour la féminisation des noms de métiers, vous défendez l’égalité jusque dans la parole, et cherchez à libérer cette langue « colonisée » par les hommes. Le Président Mitterrand vous avait d’ailleurs avoué ne pas avoir osé dire « chevalière » de la Légiond’Honneur lors de votre décoration. Votre lutte rencontre de nombreux échos : les femmes goûtent peu à peu à la liberté et se reconnaissent dans vos oeuvres. Par vos écrits et votre action, vous avez su redonner une dignité et une noblesse à la cause féministe, en en présentant un visage différent - au plus grand bénéfice de cette lutte de tous les instants contre ces stigmatisations dont sont firands ceux qui voudraient bien pouvoir réduire cette cause majeure de notre siècle à une affaire de harpies et de pétroleuses. Vous poursuivez, avec une égale détermination, écriture et militantisme, avec Histoire d’une évasion, votre autobiographie, par laquelle vous atteignez un public encore plus nombreux qui dépasse nos frontières, notamment en Allemagne où l’on s’arrache vos livres. Tout en partageant votre vie entre la Bretagne, Hyères et l’Irlande, vous participez activement au jury du Prix Femina qui vous permet d’appuyer les auteurs contemporains et de mettre en oeuvre votre don de guetteuse de talents. Grande défenseuse des libertés et des droits, vous vous faites également l’une des avocates convaincues de l’Association pour le Droit de mourir dans la dignité, aux côtés notamment de Mireille Jospin et de Claire Quillot. Dans La touche étoile, vous évoquez merveilleusement ce droit qui est pour vous un acte positif, une manière de dire que l’on aime passionnément la vie, la vraie vie.Chère Benoîte Groult, vous êtes de ces femmes qui vivent à la hauteur de leurs rêves et ne renoncent à rien. Dans ce XXe siècle tourmenté que vous avez traversé de part en part, vous avez joué un rôle majeur dans l’avancée des droits des femmes. Votre nom même est l’un des oriflammes dont ce combat a le plus besoin. Chère Benoîte Groult, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Commandeur de la Légion d’Honneur.

Chère Irène Frain

Quand l’invitation au voyage et les racines s’entremêlent, vous n’êtes jamais très loin. Votre écriture est en effet celle qui sait allier subtilement le « bleu horizon » des Indes et de l’île Tromelin au « pré carré » de votre Bretagne natale, celui qui façonne l’imaginaire d’Ernest Renan dans ses Souvenirs de jeunesse ou celui qui inspire Mona Ozouf dans Composition française : Retour sur une enfance bretonne. Avec vous, je suis heureux de rendre hommage à une grande personnalité de la littérature contemporaine et du journalisme, qui a su se démarquer par son engagement exemplaire pour la défense de la langue française et de la liberté. Votre existence débute en 1950 à Lorient, port breton fondé au XVIIe siècle par la Compagnie des Indes, Lorient s’écrivait autrefois en deux mots et selon la croyance d’André Breton aux liens imperceptibles qui se tissent au cours d’une vie, dans Nadja, vous aurez un prédilection toute particulière pour l’Orient et l’Inde. Issue d’une famille modeste, d’un père qui appartient d’abord au monde rural puis qui devient professeur après de longues années de captivité en Allemagne et d’une mère couturière qui vous transmet son intérêt pour la mode, vous accordez une place privilégiée à l’humain et l’empathie dans votre vie comme dans votre oeuvre. A 22 ans vous êtes la plus jeune agrégée de Lettres Classiques en France et vous débutez brillamment une carrière d’enseignante de littérature latine à l’université Paris III Sorbonne puis de lettres classiques au lycée Jacques Decour. En 1979 votre carrière prend un nouvel envol avec la publication de votre premier essai sur l’histoire maritime de votre province natale, Quand les bretons peuplaient les mers, et votre notoriété avec Le Nabab ne fera quegrandir. Parallèlement à une oeuvre littéraire importante et récompensée,vous vous faites connaître en écrivant régulièrement des articles pour lec élèbre magazine Paris-Match, articles qui sont toujours remarqués car ils analysent avec éclat, une certaine touche de légèreté et parfois un brin de romanesque des évènements de l’actualité ou des portraits de personnalités. Il y a dans votre oeuvre deux courants profonds : une passion pour les enjeux inhérents à la condition féminine et une prédilection pour l’Orient, les deux se recoupant souvent. Votre engagement et votre humanisme sont portés sur la scène internationale, vous collaborez avec Jetsun Pema, la soeur du Dalai-Lama, dans un livre d’entretiens Pour que refleurisse le monde, où se dégage d’un discours entre modernité et tradition, espoir et sérénité. Vous prenez la défense de Taslima Nasreen qui se livre corps et âme dans une lutte, trop souvent muselée, contre le fondamentalisme religieux et l’oppression des droits de la femme bangladaise. Votre dernier ouvrage Les Naufragés de L’Ile Tromelin, remarquable par sa haute tenue littéraire comme par l’émotion qui saisit à la lecture de cette épopée des rescapés de l’Utile a reçu le Grand prix du roman historique. Il illustre la générosité et l’humanisme qui vous habitent, dans un dialogue permanent entre un « passé qui ne veut pas passer » et un présent du tout image que vous faits vôtre, lorsque vous évoquez les « vrais plaisirs » que vous retirez du petit écran en vous définissant comme un « polygame de la télévision » dont l’appétit vient nourrir votre « bouquet de chaînes romanesques » et votre « fréquence imaginaire ». Catulle, Tibulle, Properce, Julien Gracq et Lewis Carroll ont formé entre autres votre panthéon littéraire. Aujourd’hui ce sont votre sens aigu de l’intrigue, votre écriture tantôt sèche tantôt flamboyante, votre humour, votre imagination foisonnante mais également votre quête de liberté et de justice qui sont récompensés. Chère Irène Frain, vous traduisez admirablement l’idée que je me fais de la France, celle d’un « pays monde » ouvert au grand vent de l’histoire, mais aussi façonné par le dialogue entre les peuples etles cultures. C’est pourquoi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la Légion d’honneur.

Chère Vénus Khoury-Ghata,

C’est de Sidon que Zeus enleva Europe, fille du roi de Phénicie, berceau de l’alphabet, créant un lien indissociable entre la Méditerranée orientale et le continent européen. Comme Adonis et Salah Stétié, vous appartenez à cette catégorie d’écrivains poètes dont la voix établit un pont entre deux cultures, deux traditions, deux langues. Vous confiiez vous-mêmes que depuis toutes les fenêtres, toutes les portes de votre maison d’enfance à Bécharré, le regard se portait en contrebas sur la tombe de Khalil Gibran. Votre vie et votre être seront marqués du sceau de la poésie, de l’écriture, de la mort d’un pays ou de l’être aimé, et, poétesse de l’intensité, vous élèverez une parole de feu, qu’elle soit d’amour, de révolte ou d’enchantement. L’écriture pour vous trace son sillon dans l’existence, la création peut puiser ses sources dans le tragique, cette source obscure, et comme le fleuve remontant à la mer pour décupler sa force, vous attribuez aux mots un pouvoir salvateur, celui de conjurer ses peurs, celui d’éveiller les consciences, celui, aussi, d’opérer, je vous cite, une « mise à feu » de la haine sur la place publique. Vos écrits francophones sont semés du souffle épique des conteurs arabes, et si votre patrie véritable a toujours été le poème, vous ne pouvez oublier votre pays de naissance et d’inspiration, vous ne pouvez passer sous silence les images insoutenables d’un Liban « qui se noyait dans son sang » comme en témoigne ce merveilleux recueil de poèmes du particulier et de l’universel Les Ombres et leurs cris. En 1972, vous vous installez en France par amour et collaborez avec la prestigieuse revue Europe, alors dirigée par Louis Aragon, que vous traduirez en arabe ainsi que d’autres poètes tels Jean-Claude Renard ou Alain Bosquet. A l’instar de la poésie et de la francophonie, vous êtes porte-parole de la douleur, de la tension et de la femme, votre oeuvre a également donné la part belle à la dénonciation critique de la domination masculine et à l’élévation de la voix des femmes par la littérature. Votre oeuvre poétique est récompensée par le prix de la société des Gens de Lettres en 1993. Vous êtes couronnée du prix Mallarmé pour Le Monologue du mort en 1987 et du Grand prix de poésie de l’Académie française en 2009 et êtes entre autres et parallèlement à votre admirable travail d’écriture membre du jury du prix Mallarmé et Max-Pol Fouchet. La flamme et l’exigence, la rigueur et l’exaltation, la sagesse et l’ampleur de votre oeuvre polyphonique et intimement cohérente sont garants de la place majeure de la poésie au sein, à la source même de la société. Vous qui avez connu un Beyrouth intellectuel, un Beyrouth rayonnant, un Beyrouth de rêve, vous qui avez aimé un frère poète écrasé par l’intolérance, la cruauté puis l’hébétude , vous avez porté votre souffle et votre lutte par-delà les frontières, les genres et les langues. Le goût de la fable, le plaisir de conter, les méandres de la parole, la parabole, l’image féconde caractérisent votre poésie autant que l’exigence d’une écriture virulente et émancipatrice. Vous dévoilez et fustigez dans votre oeuvre l’hypocrisie et les avatars d’une société libanaise dégradée à laquelle vous restée profondément attachée et à laquelle vous tendez la meilleure de vos armes : les mots, avec l’espoir de réveiller les consciences et de faire renaître l’exigence morale. Chère Vénus Khoury-Ghata, je suis heureux d’honorer une très grande femme écrivain et poète, véritable « Orphée au féminin » qui s’est distinguée par son apport essentiel de couleurs et de mélodies arabes à la langue française, par un nouveau style manifestant une sensibilité hors du commun, mais aussi par une quête frénétique de vie et de vérité. Vénus Khoury-Ghata, vous êtes une résistante et un poète des fleurs carbonisées, ces fleurs qui renaissent par delà les cendres et les longs hivers de la vie. Aussi, chère Vénus Khoury-Ghata, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons officier de la Légion d’honneur.

Chère Nicole Lattès,

Vous avez donc su appliquer votre devise, une citation de Faulkner, selon laquelle « il faut toujours avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu'on les poursuit ». Votre amour des livres et des auteurs est à la mesure de votre carrière impressionnante dans l’édition. Vous êtes ce qu’on appelle un grand éditeur, vous êtes un découvreur de talents, vous savez accompagner et guider les écrivains dans les méandres, parfois complexes, de l’édition. Votre aventure débute chez Gallimard, pour rejoindre ensuite la maison Lattès, que vous dirigez avec autorité et élégance pendant 10 ans. Votre année sabbatique, en 1992, est un peu votre « chemin de Damas » : non que vous vous convertissiez – votre expérience s’est forgée préalablement dans le travail patient et si décisif de lectrice et d’assistante, ces figures de l’ombre qui donnent vie au livre et font naître les auteurs. Vous profitez de cette pause pour voyager : de ces pérégrinations vous vient le nom des Editions Nil que vous fondez en 1993, mais aussi, sans doute, cette ouverture au monde et le raffinement mâtiné de proximité qui vous caractérise. La Bruyère qui aimait à peindre les Caractères ne disait pas autre chose : « On ne doit pas juger du mérite d'un homme par ses grandes qualités, mais par l'usage qu'il en sait faire ». Votre empreinte dans le paysage de l’édition française est importante. Ce sont avant tout les formats et les livres qui façonnent le goût et forment l’esprit qui vous distinguent, à l’image de la série complète des portraits d’écrivains du XXe siècle réalisés par Daniel Rondeau ou bien du « cabinet des curiosités, ces petits volumes jubilatoires et ces gourmandises littéraires, souvent empruntés à l’antiquité, dont vous seule avez le secret. Je ne voudrais pas oublier la réédition de l’Histoire de la philosophie occidentale du regretté Jean-François Revel, esprit à la fois brillant et encyclopédique qui fut, tout au long de sa vie, un véritable « passeur de culture ». Votre activité d’éditrice, c’est aussi la découverte de jeunes auteurs, à l’image de Jean Rolin ou de Matthieu Ricard, dont vous publiez les deux livres les plus lus : Le moine et le philosophe et L’infini dans la paume de la main. Votre passion des grands espaces et votre appétit de la découverte vous conduit d’ailleurs à le retrouver au Népal, dans ce monastère de Schechen qui est à la fois la « fin d’un monde » et l’ouverture d’un horizon. Chez vous, on le voit la lettre n’est jamais très loin de l’esprit et vous cultivez depuis lors une forte dimension spirituelle et une intimité non feinte avec la philosophie bouddhiste. Vous avez aussi su réunir, sous la bannière de Nil, une pléiade d’auteurs prestigieux à l’image de Jean d'Ormesson, Peter Mayle, Jacques Lacarrière ou Daniel Rondeau, ce « quatuor de l’avenue Marceau » que ne renierait pas un écrivain aussi talentueux que Lawrence Durrell, également édité par vous. Vos fulgurances et vos intuitions forcent l’admiration et inspirent le respect du milieu de l’édition. En 1999, on vous confie la direction générale des éditions Robert Laffont-Nil-Julliard-Seghers. Vous aimez à rappeler que le travail d’éditeur s’appuie sur une équipe et sur des compagnons de voyage, mais chacun sait ici combien votre personnalité rayonnante, votre charme persuasif et votre perspicacité littéraire inspirent le respect et l’admiration de vos pairs. L’attention, labienveillance et la confiance que vous accordez aux auteurs, quelle que soit leur notoriété, font de vous une personnalité singulière dans l’édition. Je tiens aussi à saluer votre combat et votre ambition pour le livre, non seulement au bénéfice de votre grande maison, mais aussi en faveur du livre et de l’avenir de la lecture, ce point de contact souvent décisif vers la culture, les arts et en définitive vers ce qui nourrit encore aujourd’hui « une certaine idée de l’Europe », pour reprendre l’expression de Georges Steiner, une Europe où le cafés de Pessoa à Lisbonne font écho aux promenades méditatives de Kierkegaard aux comptoirs de Palerme. En effet, vous avez signé l’an dernier la pétition en faveur de l’abaissement du taux de la TVA sur le livre numérique, objectif fixé par le Président de la République à l’occasion de ses voeux 2010 au monde de la culture et pour lequel, vous le savez, je m’investis personnellement auprès de la Commission européenne, des parlementaires et des éditeurs. En exploratrice avertie - vous êtes éditrice, faut-il le rappeler, de la correspondance de L.R. Stevenson - vous avez saisi qu’il s’agissait là d’une « nouvelle frontière » pour le livre et l’édition au XXIe siècle.Aussi, chère Nicole Lattès, c’est avec grand plaisir qu’au nom du Présidentde la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la Légion d’honneur.

Cher Maurice Denuzière,

Vous êtes un écrivain prolixe, un exemple dans le roman historique, mais vous avez trempé votre plume dans les combats du siècle et dans l’époque héroïque de la presse d’opinion et d’investigation. Après un début de carrière dans l'aéronautique navale, vous vous lancez dans le journalisme avec résolution. En 1951, vous devenez chroniqueur pour France soir et pour le journal Le Monde, grands quotidiens nationaux où vous allez passer une bonne partie de votre carrière. En explorateur du monde et en voyageur de l’esprit, vous effectuez de nombreux reportages d’actualité, étudiant les moindres frémissements de cette époque où la Guerre froide agite les relations internationales. Vous connaissez ces « Trente Glorieuses » de la presse pendant lesquelles les magazines innovent dans la manière de raconter les faits en décidant de recourir à la photo pour montrer, témoigner toujours, accuser parfois. Pour Le Monde, vous suivez de nombreux grands procès, notamment celui de l’affaire Ben Barka, et réalisez de nombreuses enquêtes, sur l’opéra dans le monde, le trafic des objets d’art ou Haïti. Votre expérience de grand reporter, longue de quinze ans, vos voyages aiguisent votre regard, nourri de cette distance critique dont vous savez si bien faire preuve. En parallèle, vous tenez une rubrique hebdomadaire d’humour et de société, Clin d’oeil, réflexions lucides et acérées sur le monde contemporain. En 1978, vous quittez le journalisme et vous continuez votre voyage de l’esprit, en mettant votre expérience et votre imagination au service d’un genre exigeant, le roman historique. De « spectateur engagé », vous devenez écrivain du voyage. Votre première série, Louisiane, est un bestseller international, qui a donné lieu à 24 traductions, une série télévisée et un long métrage signés Philippe de Broca. Le premier volume est d’ailleurs couronné par le Prix Alexandre Dumas en 1977. La fraîcheur de l’écriture, la personnalité des héros, l’intrigue foisonnante, tout concourt à entraîner vos très nombreux lecteurs. Ce succès ouvre la voie à deux autres séries, Helvétie et Bahamas, quivous élèvent définitivement au rang de « maître » du roman historique. Inspiré par les grandes épopées, vous parvenez à évoquer ces époques avec élégance, offrant aux lecteurs une vision de l’histoire renouvelée par ce souffle épique qui lui octroie toute sa puissance. Ecrivain polyvalent, vous aimez écrire des oeuvres au ton plus léger, telles que Le Cornac, extraordinaire satire de la société contemporaine sur laquelle vous portez un regard lucide, caustique et tendre et qui a donné lieu à une très belle adaptation pour la télévision. Vos romans d’humour, Un chien de saison et Pour amuser les coccinelles sont également très appréciés du grand public. Essayiste et observateur amusé du monde, vous publiez des ouvrages aussi divers que Les délices du port, consacré au vieillissement, ou des récits de voyage, mais aussi votre contepour la jeunesse, Alerte enStéphanie. Vous abordez ainsi, à travers vos oeuvres, des sujets incontournables et actuels avec une plume toujours aussi aiguisée et alerte. Alors que votre livre d’histoire, Je te nomme Louisiane, vient d’être réédité par Fayard, il y a maintenant quelques années, à l’occasion du bicentenaire de la vente aux Etats-Unis de l’ancienne colonie française, vous débordez de projets. Votre dernier roman historique, L’Alsacienne, que j’ai moi-même beaucoup apprécié, retrace, avec détail et sensibilité, cette période de la fin du XIXe siècle alors que l’Alsace et une partie de la Lorraine étaient encore allemandes, et vous y brossez avec talent le portrait d’une IIIe République florissante, celle des manuels d’histoire à la Malet et Issac, celle des « pères de la laïcité » et celle qui fit de la province perdue l’horizon indépassable de toute politique extérieure jusqu’à la Grande Guerre. Et nous attendons patiemment la sortie de votre prochain livre, critique sans doute mâtinée d’humour des excès de notre société de consommation. Cher Maurice Denuzière, vous offrez, à travers votre oeuvre si riche, une vision de l’histoire généreuse et lyrique, nourrie par votre imagination foisonnante, une histoire accessible à tous et sensibilisant chacun à un « temps retrouvé », celui de l’histoire vécue comme un roman. Cher Maurice Denuzière, au nom de la République française, nous vousfaisons Commandeur dans l’ordre des Arts et Lettres.

Chère Anne Golon,

Tout comme Sofia Coppola nous a fait découvrir une Marie-Antoinette renouvelée, tout comme Françoise Chandernagor nous a offert le portrait d’une Madame de Maintenon réinventée, vous avez su porter, avec cette
fraîcheur dans l’écriture dont vous savez si bien faire preuve, un regard contemporain sur le grand siècle. Vous êtes ainsi parvenue, par vos écrits, à séduire un public toujours plus nombreux, à l’image de ce grand cinéma français de cape et d’épée que nous connaissons tous, de Gérard Philipe en Fanfan la tulipe à Bourvil en Bossu mémorable. Je souhaiterais ainsi, aujourd’hui, rendre hommage à votre oeuvre-monument, votre épopée historique, Angélique, mais également à votre personnalité exceptionnelle qui a su captiver des centaines de millions de lecteurs à travers le monde. Cette oeuvre connue de tous, dans le monde entier, est celle d’une femme hors du commun, mue depuis toujours par la passion de l’écriture et dont la vie recèle peut-être autant d’aventures que ses romans. A 18 ans, vous publiez votre premier roman puis, tout en poursuivant votre vocation, vous vous engagez sur la voie du journalisme. La guerre ne saurait entraver votre soif de liberté et, dès l’arrivée de l’occupant, vous vous précipitez sur votre bicyclette, pour gagner l’Espagne depuis Paris. Chère Anne Golon, vous avez aussi été une exploratrice qui ne craint ni les territoires vierges, ni les limites. Les Amérindiens et les origines du Nouveau Monde ne vous sont pas étrangers et ont largement inspiré votre goût de l’épopée et de la « frontière ». Dotée d’un tempérament à toute épreuve, votre vie a la saveur de l’épopée. Cette même soif de liberté vous conduit en Afrique Equatoriale Française (AEF) où vous rencontrez Serge, l’homme qui vous secondera dans votre oeuvre comme dans votre vie.
En 1957 apparaît dans les librairies de France la fougueuse et impétueuse Angélique, dans ce qui sera le premier tome d’une véritable saga, Angélique, Marquise des anges. Le succès ne se fait pas attendre et il est unanime. Toute la France, oserais-je dire, a pour Angélique les yeux de Joffrey! Et que dire de vos nombreux admirateurs dans le monde, pleinement révélés aujourd’hui à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Plongée dans l’histoire du Siècle de Louis XIV, Angélique étonne et séduit par sa modernité: indépendante, c’est par elle et pour elle que vivent les hommes, rappelant en cela la densité psychologique et la fougue d’une princesse de Montpensier ou d’une Manon Lescaut. L’enthousiasme des lecteurs, loin de freiner votre plume et d’arrêter les aventures de l’héroïne, ne fait qu’aviver votre amour, vite partagé, de l’histoire de France. Chaque roman est une nouvelle exploration du Grand Siècle, et un nouveau succès. D’Eugène Sue à Gaston Leroux, le roman populaire a creusé son sillon au XIXe siècle et vous vous inscrivez dans cette veine puissante qui a su allier avec exigence le personnage du roman et le mythe historique. Vous avez un don rare, celui qui consiste à faire vivre un large public au rythme des aventures d’une héroïne du passé. Certains contemplateurs ont pu voir dans votre succès unanime la marque d’une facilité, mais vous traduisez admirablement l’idée selon laquelle une oeuvre prolixe peut aussi être une oeuvre dense et exigeante. Véritable Dumas des temps actuels, vous n’écrivez qu’après un travail de recherche immense et vous ravivez
l’histoire de France du souffle et de la verve de votre plume en lui rendant toute son humanité, sa proximité, sa grandeur également. En d’autres termes, Angélique ne serait peut-être pas Angélique sans la grandeur… Votre succès littéraire se double alors d’une consécration cinématographique, qui enracine, plus largement encore, le personnage d’Angélique dans l’imaginaire de chacun et fait vibrer toute une époque. Tout le monde se souvient de la délicieuse Michèle Mercier interprétant Angélique et la figure balafrée de Robert Hossein en Comte de Peyrac.
Votre goût de la nouveauté et votre esprit d’aventure vous amènent à publier de nouveau l’ensemble des Angélique dans une édition sans coupures et augmentée de nouvelles péripéties, pour le plus grand plaisir de vos lecteurs. Cette décoration, chère Anne Golon, c’est aussi une réparation car je sais le combat en justice qui a été le vôtre auprès de vos agents et de vos éditeurs pour faire respecter vos droits. Ces combats en faveur des auteurs, vous le savez, je les fais miens dans tous les domaines artistiques, confrontés aujourd’hui à la question du téléchargement et de la reproduction illégale sur internet.

Chère Anne Golon, au nom de la République française, nous vous faisons officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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